"On l'appelle l'étranger fantôme et on dit qu'il fait l'impossible..." ainsi pourrait commencer le portrait de celui dont nous allons parler aujourd'hui :
The Phantom StrangerImaginé par John Broome et Carmine Infantino The Phantom Stranger apparaît pour la première fois en août 1952 et DC lui consacre immédiatement une série qui va durer à peine six numéros (de août 1952 à juillet 1953).
A l’origine il portait un simple manteau noir, une cravate, un chapeau et l’on pouvait voir ses yeux. Apparaissant au bon moment il intervenait pour mettre un terme à des situations périlleuses. Aucune indication n’était donnée sur lui mais malgré cette ambiguïté le lecteur pouvait le considérer comme une sorte de héros à la manière des Detective Comics mais évoluant dans des histoires où se mêle le fantastique et l’épouvante.
Après une période d’oubli, il revient dans le monde de la BD et en mai 1969 il a même droit à une nouvelle série chez DC qui durera cette fois jusqu'en mars 1976.
Il faut dire que le personnage a beaucoup évolué depuis sa création. Grâce à des artistes tels que Jim Aparo (Spectre, Aquaman) Tony DeZuniga (Jonah Hex) et surtout Neal Adams (Batman), le Phantom Stranger va devenir un personnage particulièrement charismatique.
Jim aparo
Neal adams
En affirmant, dans la première série, sur chaque couverture : “is he man…or ghost ?” il n’y avait qu’un pas que Neal Adams a vite franchit. En effet ce dernier décide dans la seconde série d’en faire une entité qui échappe au sens commun. Le doute avec le surnaturel n’est donc plus permis.
Neal Adams va aussi changer l’apparence de Phantom Stranger qui désormais porte une sorte de long manteau en forme de cape. Par la suite viendra s’ajouter un pull blanc à col roulé et une chaîne en or au bout de laquelle pend un médaillon (un look évidement très inspiré par la mode de l’époque).Enfin et surtout on ne pourra plus jamais distinguer son regard mais contrairement à ce que l’on pense parfois il ne porte aucun masque, c’est simplement l’ombre de son chapeau qui en fait masque ses yeux
Aujourd’hui il réapparaît régulièrement dans des aventures dés lors que les histoires se déroulent dans un contexte marqué par le surnaturel. Il se matérialise au beau milieu de situations de crise, donnant des conseils ou des avertissements, le plus souvent d’ailleurs il n’agit pas directement comme s’il observait une sorte de règle de conduite l’interdisant dans certaines situations de prendre part aux conflits. En général l’histoire est déjà bien avancée lorsque intervient le Phantom Stranger en sorte que le lecteur l’attend mais sans jamais trop savoir à quel moment il va intervenir.
En France les aventures du Phantom Stranger/l’étranger fantôme ont été traduites en partie par Aredit (au format pocket) dans la collection Névrose en noir et blanc
Un fantôme ?
Une des caractéristiques les plus remarquables de cette BD résidait dans le fait que le héros pouvait s’adresser directement au lecteur au début de chaque histoire.
A vrai dire ce n’était pas vraiment une nouveauté puisque dans les récits d’épouvante publiés par EC Comics (The Crypt Keeper, The Vault Keeper et The Old Witch) on avait déjà utilisé ce procédé. Virgile ou Dante pour décrire l’enfer n’avaient-ils eux aussi pas fait de même, afin d’avertir le lecteur des risques qui l’attendait à vouloir pénétrer dans les recoins les plus sombres de la Terre. De fait chacune des couvertures du Phantom Stranger résonne ainsi comme une mise en garde à l’attention du lecteur, lequel évidemment ne pourra pas résister à la tentation de lire le récit qu’on prétend lui interdire.
La plupart des couvertures nous montrent ainsi deux mondes : le notre et celui qui est défendu. La plupart du temps la barrière est mince (une porte ou un livre qu’il vaut mieux ne pas ouvrir) et l’on peut très vite passer de l’autre côté…
La notion de point de vue est aussi brouillée car le lecteur ne sait pas vraiment d’où lui vient le message qui lui est destiné, certes The Phantom Stranger s’adresse à lui, mais c’est toujours par delà le temps et l’espace, dans des endroits étranges, au milieu de nulle part et enveloppé d’une brume aussi surnaturelle que sournoise.
Une thématique récurrente de l’œuvre est celle du temps : le temps du jugement, de l’ultime confrontation. On touche ici à un des éléments essentiels de The Phantom Stranger : son côté implacable, inéluctable. Au fond c’est moins le contexte, certes angoissant, de la nuit, du brouillard ou d’un lieu désertique qui occasionne le frisson que cette terrible certitude que The Phantom Stranger sait tout et peut tout faire. Dans la catégorie des personnages omnipotents, DC nous offre ici un véritable maître dans l’art de tisser ou de rompre le fil de la vie.
Torturé, emprisonné dans des cercles mystiques, détaché de son enveloppe physique… l’un des plus insaisissables héros de l'histoire de la bande dessinée n’est pas pour autant invulnérable ! ni d’ailleurs aussi puissant qu’on voudrait bien le croire. En effet le Phantom Stranger n'est pas toujours en mesure de vaincre les forces qui s’opposent à lui, et bien souvent il ne peut empêcher la mort de certain protagonistes de l’histoire.
Il trouve d’ailleurs en la personne de la redoutable sorcière Tala (apparu pour la première fois dans # 4) son adversaire le plus puissant.
Un étranger ?
Un personnage aussi puissant se devait de rester énigmatique, y compris pour les lecteurs les plus fidèles. DC entretient donc le doute sur ce personnage, au point que le mystère sur sa véritable nature reste entier.
The Phantom Stranger serait ainsi suivant les uns les autres : le premier homme, un personnage biblique, une sorte d’élu. Ou bien encore un ange déchu condamné à errer sur la Terre. A moins qu’il ne soit un revenant dont l’âme tourmentée ne peut trouver la paix. Enfin on parle aussi de lui parfois comme d’une puissance présente au commencement du monde et censé faire le lien entre les vestiges de l’ancien temps (d’où la sorcellerie) et le nouveau (la technologie).
Bon ou mauvais ?
Bien que The Phantom Stranger soit membre de la ligue de Justice il prend soin de marquer sa différence avec les autres membres du groupe, au point parfois d’entretenir le doute sur ses véritables motivations au sein de la JLA. S’il ne fait aucun doute qu’il lutte du côté des forces du bien (« le monde ne doit pas sombrer dans les ténèbres » déclare-t-il souvent) il semble que ses raisons d’agir soient plus complexe qu’un simple combat entre le bien et le mal
Une autre source d’interrogation tient à sa façon de vaincre le mal : il n’a aucun scrupule à utiliser les moyens les plus extrêmes. En outre sa relation avec le Spectre est des plus étrange. Le Spectre est un esprit de vengeance lié à l'âme d'un flic assassiné qui utilise lui aussi des moyens encore plus radical pour vaincre ses adversaires au point de donner systématiquement la mort à tous ceux qui sont sur sa route, chose que ne fait pas toujours le Phantom Stranger mais les histoires laissent entendre que cela ne le gênerait nullement d’en faire autant !
Pour terminer cet article je ne puis résister au plaisir de citer the Phantom Stranger dans une de ces phrases sibyllines dont il a le secret mais qui au fond résume tout :
« on ne peut douter de ce qui est juste que si l’on n’a pas la foi »
P.